La fable et la fontaine
ETAPE 4 : Valloire – Guillestre
On ne sait pas qui des journalistes ou des cyclistes sont les plus grands affabulateurs. Etienne Bonamy cumule les deux qualités, c'est vous dire. Hier matin, il racontait à qui voulait l'entendre - c'est-à-dire à tout le monde - qu'une fée lui avait promis de le transformer en Marco Pantani le temps de l'ascension du Galibier. Mais attention - les fées ne vous filent jamais rien gratuitement, il y a toujours une condition -, s'il mettait plus de deux heures, il se transformait en citrouille. Et comme il le disait lui-même, une citrouille lâchée du sommet du Galibier... Mieux valait tout de suite prévenir le préfet de Savoie. Bref, voilà Etienne transformé en Marco Pantani, bandana au vent, qui nous attaque le col bille en tête. Bilan du jour: 1 heure 59 minutes 45 secondes. A quarante minutes de Philippe Bouvet, certes. Mais la catastrophe était évitée, à quinze secondes près.
Au sommet, on voyait triple, et ce n'était pas seulement les effets de la fatigue et de l'atltitude. Des Bouvet, il y en avait maintenant trois: Philippe, bien sûr, mais aussi Albert et madame, venus soutenir le fiston dans un élan assez touchant. Photo souvenir au pied de la stèle Henri-Desgranges, avec un renfort de choix en la personne de Bernard Gauthier, quatre fois vainqueur de Bordeaux-Paris, SVP.
Passé ce moment de solennité, Gérard pouvait de nouveau se lâcher. Au pied de l'Izoard, deuxième difficulté du jour, il endossait un nouveau rôle: celui de gregario. Le vent dans le pif, il tentait de protéger Etienne et Thierry derrière sa forte carrure en roulant 200 bons mètres devant. A 12 km/h, bénéficiant de l'aspiration créée par Gérard, Thierry Cerinato arrivait au pied de l'Izoard dans les meilleures conditions mais pointait à 45 minutes de Philippe Le Men qui, lui, avait acroché la bonne roue, celle de notre Lance Armstrong à nous, Christopher.
Epuisé par son travail de sape, Gérard décidait de créer un gruppetto à lui tout seul avant de récupérer Laurent Grandcolas, ravi de trouver âme qui vive après 60 km en solitaire. Une compagnie de bien courte durée, cependant. Victime d'inflammation plantaire Laurent devait s'arrêter près d'une fontaine pour y soulager ses pieds endoloris. A propos, on espère que le journal est bien assuré. Il paraît qu'un éleveur du coin a porté plainte. Quinze de ses brebis ont été retrouvées panse en l'air après avoir bu l'eau de la fontaine...
C'est pourtant en totale ignorance de ce drame que la petite troupe choisit de se recueillir dans la Casse déserte, au pied de la stèle dédiée à Fausto Coppi et Louison Bobet. Le temps d'écraser une larme et tout le monde se jetait dans la descente pour essayer de battre le record de vitesse de la Trans'Alpes.
A la sortie du village de Brunissard, malgré un radar borné qui s'entêtait à nous prévenir que la limite était dépassée, on établissait le nouveau record: 81,9 km/h. Mais on a encore deux étapes pour tenter de l'améliorer. Un qui se bonifie de jour en jour, c'est Damien Degorre. Des "DD" tracés au milieu d'un coeur dans la montée du Galibier l'avaient déjà galvanisé. Et malgré une descente de l'Izoard digne de sa réputation de "fer à repasser", il s'est octroyé l'étape de Guillestre grâce à vint derniers kilomètres à bloc, le nez dans le guidon. On reparlera de lui, ne vous inquiétez pas.