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larouteducitron
16 juin 2007

La rêve-errance de Gérard

matthieumerETAPE 6: Isola-Menton (dernière étape)

Isola est une île. Perdue dans la noirceur des nuages. Nous pourrions y finir nos jours. Mais laissons les sédentaires à leurs tourments. Les citrons nous tendent leurs pépins. A nous

la Riviera

, les palaces, les casinos, la grande vie, les femmes fatales.

A l’heure dite plus une heure, nous chevauchons. Cap sur le col Saint-Martin. Descente de nos amours. Nous chuintons vers notre destin. Qui se dessine dans un virage. Laurent est chaud bouillant. Il est toujours dans l’attente d’un “ col référence ”. Ce ne peut plus être pour demain. Ce sera donc pour aujourd’hui. Gilles est campé sur sa tactique : “ Je prends les cols les uns après les autres et on fera le bilan à la fin. ” Gérard reste modeste : “ Comme d’hab’, je vise le maintien. Sur mon vélo. Mais c’est pas gagné. J’ai encore lâché 7h27’ dans l’étape d’hier. Il faut absolument que je ramène un point culminant de ce déplacement. ”

mattcolmartinLes lions sont lachés. Christopher from Middle West met un tour de vis. Gilles, Damien et Philippe Fenomeno forment le premier gruppetto qui, dans toute autre course, s’appellerait groupe de chasse. Gérard est en chasse patate flanqué de Matthieu, qui fait son pot de colle. Il aimerait connaître les secrets de la longévité du divin chauve. La petite merveille argentine a craqué sur une saillie venue de l’avant. L’attaque de Gérard l’a trop fait marrer. Thierry se retrouve donc flanqué de son Etienne de service, qui a toujours besoin d’une cinquantaine de kilomètres d’ascension pour se sentir bien. Laurent commence à se chauffer les pieds.

groupestmartinpluieRoses sont les pensées. Noirs sont les nuages.

Tonnerre, éclairs et soudain le ciel ouvre ses vannes. Tora tora tora. Un véritable bombardement aquatique. Apocalypse now. Des rivières d’eau puis de boue caillouteuse déferlent sur la route. Matthieu est un bon organisateur : “ Il faudra venir essuyer après notre passage ”, dit-il.

Saint-Martin en folie. Là où même un saumon n’aurait pas remonté le cours d’eau, la bande progresse dans le froid et le danger. C’est le Vietnam sans napalm, Azincourt sans hallebardes. C’est water l’eau. La nature en folie. L’héroïsme à l’état pur. Certaines promotions de fin d’année ne seront pas imméritées car jamais des maillots L’Equipe n’ont été aussi courageusement portés.

mattg_rardpluieL’équipe Picard vient de trouver des coureurs. Tous congelés. Regroupement au “ Yéti ”, le bar du sommet après un dernier kilomètres annoncé à 1%, ce qui fait marrer tout le monde sauf les cyclistes. On se rapproche vraiment de Nice.

Pluie, vent. Déchaînement de violence. Eric a tout prévu pour le pique-nique. A lui de trouver un endroit sec et ensoleillé. Il faut repartir. Haut les cœurs. Bas les corps. Descente effrayante vers Saint-Martin de Vésubie. Le pique-nique est immédiatement mis en vente sur e-Bay. Ce sera restaurant. Nous sommes dans l’épique. La route du citron semble coupée. Les faibles cherchent des itinéraires de délestage. Les forts ne pensent qu’au Turini. Les croyants prient. Tout le monde rédige son testament. Christopher boit son bol d’eau chaude.

g_rarddodoEt soudain, entre poire et fromage, la sanction est levée. Pachacamac a entendu nos prières. Le soleil est de retour : à nous le Turini. Ruée sauvage. D’abord descendre. Incident technique pour Laurent, arrêté avec son vélo à l’envers. Déjà à l’endroit, il ne va pas vite. Alors là…

Gilles est survolté. Le bœuf bourguignon fait son effet. Damien “ Bang Bang ” s’accroche. Virage à gauche.

15 km

de Turini. Vroum vroum.

Trop de pluie le matin, trop de soleil maintenant. Ils ne sont jamais contents. Christopher revient sur la tête. Gérard prend les mêtres les uns après les autres. Il accroît, pense-t-il, son avance sur Laurent. Thierry et Etienne verrouillent derrière pour ramasser les tubes vides et les seringues. Surtout ne pas laisser de traces, charte éditoriale oblige.

gillesturiniSpectacle fascinant, paysages affolants. La moto 47 reste sur Gérard. La 56 cherche Fenomeno, qui connaît une mémorable défaillance. Gérard aperçoit deux coureurs devant lui. Au prix d’un  effort surhumain, il les rattrappe et reconnaît deux anciens amis d’école primaire, Fenomeno et Laurent. Laurent, qu’il pensait être derrière lui. “ Dis-donc, tu ne serais pas en train de nous sortir ton col référence ”, lui demande-t-il. Laurent monte sur un énorme braquet, genre 30x26 (les connaisseurs apprécieront). Les pieds commencent à lui brûler. Fenomeno lui propose d’aller chercher chez Christopher un bol d’eau chaude pour lui rafraîchir les doigts de pied : “ Je devrais être de retour dans 48 heures ”, lui dit-il. Laurent sait qu’il n’a pas plus de 24 heures d’autonomie. “ Mais qu’est-ce qu’il fout, ce putain d’enculé de camion ”, hurle t-il. Quand il monte, Laurent garde toujours un peu d’énergie pour dire des gros mots. Soudain, dans son dos, un tango. L’Argentin revient, tout rictus dehors, accompagné de son survolté de très Bonamy, qui attaque à droite, qui attaque à gauche. Quand il parvient à maintenir son 6 à l’heure, Etienne aime bien humilier ses adversaires. Devant, Gilles vroum vroum tente un rapproché sur Christopher, qui n’a plus que 27 minutes d’avance à

500 mètres

de la ligne. Le coup est jouable. Sur la route du citron, on a déjà vu des choses plus étonnantes.

christophersommetturiniEt Matthieu dans tout ça ? Il est déjà perdu dans ses comptes “ Alors, Gilles doit 46 euros à Christopher et 27 à Philippe, Laurent doit 45 euros à Gilles, qui lui en doit 37. Gérard doit 27 euros et une banane à Thierry, qui doit deux tranches de saucisson à Etienne, qui doit 56 euros à Damien, qui lui en doit 45 plus un couteau en plastique. ” Dans le sport de haut niveau, l’ombre de l’argent n’est jamais loin. Celle de l’or non plus. Il est pour christopher. Qui s’installe dans un Yéti chaud après le Yéti froid du matin. Derrière, Laurent pieds en feu s’est arrêté. A deux kilomètres du sommet. Philippe sort son portable et commande un Canadair. La moto 154 ne rate rien de la scène. Gérard en profite pour s’envoler, profitant du sillage laissé par une limace qui remonte la route.

Bon, finalement les

1 607 mètres

du col mythique sont conquis et rarement arrivée au sommet n’avait été aussi serrée. 1 : Christopher ; 2 : Gilles à 54 minutes, 3 : Matthieu à 1h 23 ; 4 : Damien à 2h 06 ; 5 : Etienne et Thierry à 4h 34 ; 7 Gérard à 5h 06 ; 8 Philippe, Laurent et le Canadair à 6h 23. Tout est encore jouable avant le col de Châtillon, dernière des seize difficultés de la semaine.

g_rard_chapp_ecastillonDescente sans histoire sur Sospel. Tout en dérapages contrôlés. Le long ruban des “ citronistes ”  se dévide au long des lacets. Ainsi survit la gloire du plus beau des sports dans sa beauté toujours recommencée.

Sospel. Départ groupé dans le col de Châtillon. Un bel os. Juché à

700 mètres

avec des pentes de folie à 5%. La difficulté majeure de la course, en somme. Ici de grands champions se sont révélés. Ici un petit champion va tirer sa révérence à son sport adoré. Gérard fait une Armstrong en queue de peloton. Et tout le monde tombe dans le piège. L’attaque fuse. Magistrale. Impitoyable. Les énormes et moqueurs éclats de rire de ses rivaux ne le démontent pas. Il est sur la plaque. La toute petite. Celle des 30 dents. Matthieu revient. Il tente d’acheter Gérard. Il lui propose une collaboration. Le temps de négocier (sur une base de cinq euros et deux Di Antalvic), le peloton revient. Mais Gérard est un fusil à deux coups. Son nouveau démarrage est sublime. Le chef d’œuvre d’une vie de sportif raté. Plus personne ne le reverra. L’Histoire s’écrit. “ Appelez la rubrique cyclisme, hurle-t-il à Eric et Laurent, restés dans le camion. Faites actualiser ma fiche. Ils peuvent ajouter une route du citron à mon palmarès. ” g_rardsommetcastillon

Il franchit le sommet en majesté. Quand la meute arrive, interloquée, bluffée, Gérard est douché et rhabillé de son maillot du meilleur vieux qu’il portera pour le restant de ses jours.

La descente sur Menton est un rêve. Ils l’ont fait. Nous l’avons fait. C’est un hymne à l’amitié, à l’amour, au rire, à la souffrance, au don de soi, à la générosité, à la pharmacopée. C’est une aventure considérable qui s’achève dans les effusions, les embrassades, le respect absolu. C’est la vie comme on en rêvait enfant et que nous inventons. C’est la transe de

la Trans. Oh

mon Dieu, pourquoi êtes-vous injuste ? Pourquoi nous avoir élus, Pourquoi tout pour nous et rien pour le reste de l’humanité ?

Dernier repas. Atmosphère religieuse. La cène sans trahison. Encore que… Gérard annonce officiellement qu’il met un terme à sa carrière. L’enthousiasme est général. “ Ca fera un boulet en moins ”, dit Etienne. Gilles se tourne vers Laurent : “ Et toi, tu ne crois pas qu’il serait temps… ”

loloescargotUn énorme “ Putaiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiinnnnnn ” traverse la rade de Menton.

Pendant ce temps, Matthieu taxe 150 euros à Gérard pour

la Trans

2008. Le monde est devenu fou. C’est la grande synergie. Passion. Rideau !

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Commentaires
L
Merci de signaler à Gérard Ejnès que sa demande de retraite est refusée. Il faudra continuer un peu cher monsieur le jeune homme.<br /> Il ne faudrait pas croire que la Légion d'honneur s'acquiert aussi facilement.
larouteducitron
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